dimanche 30 décembre 2012

Le Sanctuaire




J’entends des voix.
Elles semblent si lointaines.
Est-ce que je dors encore, est-ce que c’est un rêve ou bien moi qui reprends conscience ? Combien de temps j’ai dormi ?
J’ouvre les yeux, doucement.

La lumière filtra à travers le rideau des cils et Myrien se sentit assailli par l’éclat du jour. Immédiatement, par réflexe, il s'en retourna à sa retraite, les yeux clos. Oui, il était bien comme ça.
Mais il se sentait en pleine forme, comme s’il avait dormi des semaines. Alors, à plusieurs reprise, il retenta l’expérience jusqu’à se sentir suffisamment accoutumé au jour.
Quand il ouvrit les yeux, se fut pour découvrir une pièce exiguë et dénuée de décoration. Il n’y avait que lui, la fenêtre au volet entrebâillé et le « lit », c’est-à-dire une paillasse fichée sur un autel de pierre en guise de sommier.
- Bonjour la déco’.
Il se redressa tout à fait et s’assit, laissant ses pieds nus frôler le sol de terre.
- C’est moins cosy que j’croyais, l’Egypte.
Bruits de pas derrière la porte. La poignée s’abaissa, le bois pivota, et un homme pénétra dans la petite pièce. Myrien le reconnut aussitôt.
- Simon ?
- Kalyaste du signe caché du Serpentaire. Tu peux oublier le « Simon » au Sanctuaire, petit. Comment ça va, bien dormi ?
Il répondit simplement par un hochement de tête. Ça oui, il avait bien dormi ! Mais il était encore trop près du continent des rêves pour comprendre la réalité de sa situation. Et Kalyaste n’hésita pas à le lui faire remarquer.
- Après quatre jours à ronfler sur ton oreiller, j’espère que c’est le cas ! Allez, rhabille-toi s’il-te-plait. C’est l’heure de la visite.
De la visite ? pensa Myrien.
Soudain les différents éléments s’imbriquèrent dans sa tête et les souvenirs affluèrent.
Les hommes en armures noires, Simon, Achille, Alban,…
- Sélène ? demanda-t-il brutalement.
Mais Simon était déjà dehors à l’attendre. Myrien découvrit alors qu’il était presque nu et se décida à renfiler ses vêtements, lavés et soigneusement pliés. Comme Simon ne venait pas le chercher, il prit le temps de se remettre les idées au clair.

Il était parti avec Sélène, la petite rousse de son enfance. Ensemble, ils voulaient retrouver le casque du héros mythologique Orion, qui devait se trouver en Egypte. Simon, un archéologue ami du père de Sélène, avait rejoint leur petit groupe, puis Alban le porteur et Achille leur conducteur. Le soir, ils avaient fait une mauvaise rencontre. Et après…
Myrien ne parvenait pas à rassembler les derniers fragments, mais une image nette s’imposait à lui. Son corps recouvert de morceaux de métal brisés, et un homme en noir qui lui faisait face avec la ferme intention de le tuer.

Mais il était toujours en vie alors… que s’était-il passé ?
Je dois demander à Simon, décida-t-il en passant la porte.
Et ce qu’il vit le sidéra. Ils n’étaient plus en Egypte mais dans un petit village perdu au milieu des montagnes. Des  hommes et des femmes traversaient les rues en discutant dans une langue qu’il ne connaissait pas. Simon conversait avec un vieil homme qui le regardait avec une vénération sans borne. Alors seulement, il remarqua ce qui aurait du lui sauter aux yeux depuis le début.
Simon, ce gentil bonhomme rigolard et un peu gauche, se tenait vraiment droit pour la première fois et dégageait une telle prestance qu’il forçait au respect. Plus encore, il portait une cape blanche comme la neige qui n’était pas souillée par la terre ni la poussière alors que lui-même en avait déjà aux chevilles. Puis il découvrit l’armure.
Une armure comme on pourrait en voir dans les films fantastiques, faite de pièces bien distinctes et qui coulissaient entre elles lorsqu’il bougeait et qui s’imbriquaient si bien qu’on aurait pu croire qu'elle ne faisait qu’un avec son porteur. L’armure était fine et semblait allonger le corps de Simon. Sa forme lui donnait l’air d’un oiseau de proie, puissant et impitoyable. Elle était d’une couleur entre le doré et le rouge bronze et le casque était tenu nonchalamment sous le bras de Simon. Celui-ci salua le vieil homme après avoir posé une main sur son front, comme une bénédiction, puis se retourna vers Myrien.
- Bon alors, on a fini de bailler aux corneilles, le bleu ?
Bizarrement, cette réplique ouvertement provocante le toucha juste là où ça faisait mal. Oui, il baillait aux corneilles devant un Simon métamorphosé. Et oui, il se sentait comme un bleu. Mais pourquoi ? Les souvenirs ne voulaient pas totalement lui revenir, alors il se surprit à répéter sa question, comme pour se donner une contenance.
- Où est Sélène ?
- Tu la verras bien assez tôt. Elle n’a pas perdu autant de temps que toi, elle. Tu la retrouveras sur le champ d’entrainement.
- Le… De quoi ?
Simon souffla comme s’il était atrocement fatigué de ses jérémiades et lui tourna le dos pour remonter la rue, en secouant la tête. Myrien lui emboîta le pas et courut jusqu’à se mettre à son niveau.
- Et on est où ? Pourquoi vous êtes en armure ? C’est quoi ici ? Et pourquoi…
- Ola le bleu ! Pas trop de questions à la fois, tu veux ? Nous sommes au Sanctuaire, en Grèce, et c’est le seul et unique endroit pour le moment où tu te trouves en sécurité.
- Et c’est quoi le S…
- Le Sanctuaire est un lieu réservé aux chevaliers saints. Il est entouré de villages qui participent à son autonomie alimentaire, entre autres.
- Les chevaliers ?
Myrien avait les yeux rivés sur Simon, si bien qu’il ne vit pas la foule de passants qui se séparait respectueusement sur leur passage et observaient celui qu’ils savaient déjà être un nouveau chevalier.
Simon rit jaune.
- Vous vous ressemblaient vraiment trop sur certains points tous les deux. (Sans même qu’il précise qui, Myrien sentit le rouge lui monter aux joues, et l’homme en armure rit de plus belle, franchement cette fois.) Les chevaliers, ou Saints, sont des combattants qui luttent depuis la nuit des temps pour éviter à la Terre de devenir un enfer. Pour les aider dans leur mission, ils portent des armures à l’image de leur constellation protectrice qui les aide à canaliser leur cosmo-énergie, leur énergie intérieure. Ils n’interviennent pas directement dans les affaires des humains "normaux". Mais dès que la planète ou l’avenir de l’humanité est menacé par une puissance maléfique, Athéna les envoie pour combattre et protéger la paix et la justice.

Devant l’air incrédule de Myrien, Simon se décida à s’expliquer.
- Ça  c’est le discours « officiel » qu’on t’apprendra. Pour dire franchement, on est des surhommes parmi les hommes, avec une force destructrice capable de vaincre n’importe quelle grande puissance mondiale et l’espace d’une journée. Nos armures nous protègent et sont un don, attention tiens-toi bien, de la déesse Athéna à ses serviteurs. Alors le bleu, d’autres questions ou tu veux d’abord digérer ça ?
Oui. Il lui fallait digérer toutes ces informations et surtout faire le point. Avait-il été enlevé par une secte, Sélène en faisait-elle partie ? Les dieux et les déesses, ça n’existait pas !
Perdu en lui-même, il ne releva la tête que lorsque des cris lui parvinrent. C’était Sélène !
- Sélène !

Il partit comme une flèche et déboucha sur une espèce de cirque de gladiateurs tout en pierre, avec des marches massives et des blocs assemblés côte à côte pour former des gradins. Il retrouva Sélène au centre de l’arène, parmi une bonne dizaine de personnes en train de se battre en duel. Elle était en mauvaise posture face à un homme grand qui devait faire deux fois son poids. Au moins. Lorsque celui-ci leva la main pour la frapper au sol, le sang de Myrien ne fit qu’un tour et il vola droit sur lui, ne faisant qu’un bond entre le haut des marches et cet agresseur situé dix mètres plus loin. Dans tout son corps, il reconnut Orion qui lui prêtait main forte. Son poing fila comme une flèche et étincela d’une lumière argentée juste avant l’impact.
L’inconnu reçut son super crochet du droit de plein fouet, sa tête se plia dangereusement en arrière jusqu’à ce que son corps se décide à suivre le mouvement et il s’encastra dans un bloc de pierre.
Sélène se releva aussitôt.
- Nan mais ça va pas ? Pourquoi t’as fait ça ?

J’ai mal à la tête.

- Mais… se défendit Myrien en portant une main à son front. Tu étais en danger !
- Moi ? En danger ? Mais tu dérailles du ciboulot, Pierrot. C’est mon partenaire d’entrainement. Enfin, c’était, parce que je l’imagine pas se relever avant quelques heures. Tu maîtrises carrément bien ta cosmo-énergie dis-donc !

J’ai vraiment super mal à la tête.

Le regard de Sélène changea immédiatement après qu’elle vit son ami pâlir.
- Oh non c’est comme la dernière fois ! Assieds-toi ! Bois un coup. Ichi, amène de l’eau !
- Je suis pas ton esclave, tu sais ? fit Achille en balançant une gourde.

Achille, Ichi, Simon…

- Kalyaste ?
- Je suis là, petit. Ecoute ma voix. Ferme les yeux, repense à Orion, cherche-le en toi, essaie de garder la sensation de sa présence.
Myrien s’exécuta, et ce n’était pas chose aisée. Mais petit à petit, il parvint à fixer l’image du guerrier tel qu’il l’avait vu dans un livre chez Sélène, et l’association de cette vision et de la sensation de l’homme des étoiles l’aidèrent à enraciner Orion dans son esprit. La douleur s’atténua aussitôt et reflua petit à petit jusqu’à n’être qu’un souvenir.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Tu brûles un cosmos phénoménal et comme t’es une tête de pioche, tu te crames le cerveau !
Ces mots, sortis de la bouche de Sélène, lui firent l’effet d’une vaste blague qui s’avère être la réalité, comme s’il avait été le témoin d’une scène incroyable qu’il croyait être une caméra cachée alors qu’il n’y avait aucun trucage. L’énergie en soi qui circule dans le corps égale la cosmo-énergie. Le cosmos égale l’énergie des étoiles. Simon est Kalyaste, un chevalier d’Athéna. Le champ d’entrainement, Sélène, l’armure…
- J’ai revêtu l’armure d’un chevalier…
Kalyaste se redressa.
- Enfin tu commences à comprendre !
- C’était l’armure d’Orion qui m’a protégé contre les chevaliers en noir.
- Les chevaliers noirs, oui, précisa Sélène.
- Alors je suis moi aussi un… un chevalier ?
- Désolé Sélène, je retire ce que j’ai dit avant. Tu es bien plus rapide à la détente que lui.
Le rire cristallin de la fée rousse se fraya agréablement un chemin dans la tête de Myrien. Et il se souvint qu’elle aussi avait revêtue une armure de chevalier.

Devinant la question qui se cachait derrière son regard interrogateur, la jeune fille sourit et le devança.
- Nachi m’a fait parvenir l’armure du Loup. Kiki est en train de la réparer en ce moment même.
- Qui ?
- Kiki, Kinaï, si tu préfères. C’est un disciple de Mü, l’ancien chevalier d’or du bélier et surtout, l’unique détenteur de la technique de réparation des armures. Kiki, c’est le chevalier du Burin.
Myrien allait protester qu’une fois de plus, il n’y comprenait rien quand Simon/Kalyaste intervint.
- Laisse tomber, il comprend pas quand on lui explique sans qu’il ai posé la question.
- C’est qui Kiki ?
- Tu vois ?
- C’est un chevalier qui répare les armures. Et si tu veux qu’il répare la tienne, tu devrais te remettre sur tes jambes, te dépoussiérer le derrière, et aller le voir. Pas vrai, Kal’ ?
- C’est cela même. Aller vient, petit. Je t’emmène.

Tout se passa très vite. En moins d’une heure, il s’était réveillé au Sanctuaire, en Grèce, avait découvert que Simon était un chevalier d’Athéna, décroché la mâchoire d’un inconnu, découvert qu’il était désormais un chevalier, comme Sélène, et maintenant il se dirigeait vers un bâtiment étrange à neuf étages dans lequel se trouvait un certain « Kiki ». Mais quand allait donc finir cette journée ?

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